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histoire ◮ La femme arpentait les bois, à la recherche des herbes médicinales dont elle avait besoin. En plein coeur de l’hiver, alors que la neige blanche s’était amoncelée sur toute la région, autant dire que sa tache n’était point rendue facile. Ses pieds traînaient et sa longue cape brune s’embourbait. Avancer était devenu un réel calvaire. Mais l’homme qui avait toqué à sa porte, en cette froide matinée avait attrapé un de ces mal hivernaux qui vous prenait à la gorge et refusait de s’en aller. Le pauvre bougre avait payé une somme fort convenable et Ermangarde s’était sentie obligée d’accéder à sa demande. Elle lui avait proposé de se reposer sur le lit de fortune qu’elle réservait aux malades, au fond de sa cabane en lisière de forêt, pendant qu’elle se mettait en quête des produits pour sa mixture. Elle lui avait dit qu’elle n’en aurait pas pour longtemps. Après tout, elle connaissait la forêt par coeur, pour l’avoir arpentée en long, en large et en travers. Mais la neige transformait le paysage et elle devait bien avouer qu’elle ne savait plus vraiment où chercher.
Elle lâcha un juron qui aurait fait pâlir les paysans du village et ragea contre son maudit manteau troué qui laissait filtrer la bise glaciale. Où diable s’était donc cachés ces onguents ? D’un pas décidé, elle franchit un rondin de bois brisé qui bloquait un sentier étroit et irrégulier. Ermangarde déboucha sur une petite clairière dégagée, recouverte d’un manteau de neige immaculé. Pourtant, elle avait déjà était souillée par quelqu’un avant elle. Des traces de pas traversait le petit val. Elle se baissa, les examina un instant et en déduisit que l’inconnu était passé par là quelques heures auparavant. Au petit matin, surement, juste avant que le soleil de se lève. Curieuse, elle les suivit.
Ce n’est qu’après un instant qu’elle entendit les bruits étouffés de pleurs d’enfant. Elle accéléra sa foulée, guidée par les sanglots. Ses prunelles s’agrandirent de surprise lorsqu’elle vit le petit tas de couverture, posé au pied d’un arbre. Elle s’approcha précautionneusement, comme s’il eut s’agi d’un animal sauvage et menaçant. Après tout, c’était peut-être un mauvais tour de la forêt. Ermangarde croyait aux vieilles légendes et aux esprits farceurs. Sur ses gardes, elle effleura le couffin du bout des doigts et les pleurs redoublèrent. Oh et puis flûte ! Elle accouchait des femmes tous les jours, alors, elle savait s’y faire avec les enfants !
Elle entrouvrit les chiffons précautionneusement. Le bébé était rouge d’avoir pleuré et ses yeux collés lui indiquèrent que l’enfant venait de naître. Ses petits poings serrés étaient agités de spasmes et tout son petit corps chétif tremblait. Elle enroula ses mains dans son manteau et attira l’enfant contre elle, pour qu’il profite de la chaleur de ses vêtements. C’était une petite fille.
_Hé ben, ma jolie, tu t’étais perdue ? lui demanda-t-elle d’une voix douce.
Laisse donc faire Tata Ermangarde. Elle va te ramener à la maison. Si sa mère l’avait laissée ici, c’était qu’elle n’en voulait plus, non ? Ermangarde avait donc le droit de la garder. Elle l’avait trouvée. Elle rebroussa chemin jusqu’à sa cabane au pas de course.
Elle ne trouva jamais ses herbes médicinales.
*
_Et ça, Cornélia, qu’est ce que c’est ?La fille tourna la tête vers sa tutrice. Elle brandissait sous ses yeux une branche d’arbre noircie et abimée. Ermangarde l’agita, comme si cela pouvait motiver son apprentie à répondre. Cornélia la toisa avec de grands yeux désespérés.
_Je sais pas. C’est du bois. Celle que les villageois appelait sorcière baissa les bras et laissa un souffle dépiter franchir le seuil de ses lèvres. Cette petite n’apprenait rien. Elle ne pensait qu’à aller s’amuser dans les bois. Il n’y avait rien à faire. Rien n’entrerait jamais dans sa petite tête de piaf.
_Regarde bien. Là, qu’est ce que tu vois ? Le noeud des branches, que t’apprennent-ils ? La petite plissa les yeux pour se concentrer. L’ombre d’un espoir éclaira le visage de l’accoucheuse. Elle allait trouver !
_Que c’est du bois mort. Dépitée, Ermangarde posa la branche sur son établi. Qu’avait-elle dit ? Rien à faire. Si elle avait un jour espérer faire de Cornélia son apprentie, elle devait s’y résoudre : il n’en serait rien. Elle était beaucoup trop têtue et tête en l’air. D’ailleurs, elle devait avoir la capacité de concentration d’un furet nain de deux semaines. Autant dire, pas beaucoup. Quand allait-elle comprendre de l’importance qu’avait la connaissance ? La connaissance signifiait le pouvoir. Et elle en aurait besoin pour vivre. Comment Cornélia ferait-elle quand elle mourrait ? Il faudrait bien qu’elle gagne sa vie seule ! Et pour cela, elle devait devenir accoucheuse et soigner les malades. C’était tout ce qu’Ermangarde pouvait lui apprendre.
_Cornélia... Fais un effort. La fille croisa les bras sur sa poitrine et mit le nez en l’air, lui faisant signe qu’elle boudait. Ermangarde l’avait privée de sortie, il y avait peu et cela devait expliquer son attitude revêche. Une sacrée petite peste. Une sacrée petite peste qu’elle adorait.
_Quelques fois, je comprends pourquoi ta mère t’a abandonnée, tu étais déjà impossible à la naissance...Loin d’en être outrée, Cornélia s’esclaffa ouvertement.
_Alors, pourquoi m’avez-vous recueillie ? _Je me le demande... La fillette sourit et prit dans sa main celle de sa tutrice.
_Pour le bois, c’est du sureau. Je l’ai su dès le début. *
La femme hurlait de douleur.
C’était bien la première fois que Cornélia entendait de tels cris, à la fois aigus et graves, déchirés et déchirants. La sueur trempait les draps. Ses cheveux collaient ses tempes écarlates. On aurait dit que ses veines allaient éclater. Elle appuyait sur son ventre rebondi et elle frémissait. Lors de chaque accalmie, elle retomba sur son matelas et râlait comme une damnée. La jeune femme marmottait des prières chrétiennes mélangée à quelques douces paroles réconfortantes. La pauvre souffrait tellement que cela lui brisait le coeur. Bien sûr, la sorcière avait vu des hommes mourir, dans la cabane d’Ermangarde, emportés par la maladie ou de blessures trop graves. D’ailleurs, il y régnait toujours une odeur de mort à laquelle elle s’était habituée. Mais c’était la première fois qu’elle aillait aider à donner la vie.
Sous l’oeil attentif de ma tutrice, elle épongea le front de la futur mère dont les lèvres pâles lui murmurèrent un merci inaudible. Cornélia hocha la tête et retourna à son dur labeur.
Après quelques difficulté et plusieurs heures de travail, la tête apparut soudain. Pour avoir vu Ermangarde faire cela des dizaines de fois, Cornélia n’était pas du tout surprise, dégoutée et décontenancée. Elle aida patiemment et doucement le bébé à se glisser dans le monde. Le petit garçon se mit à hurler aussi fort que sa mère et à gigoter dans tous les sens.
_Ermangarde ? Qu’est ce que je fais, maintenant ? appela Cornélia à l’aide.
La sorcière parut ravi, applaudit et récupéra l’enfant des mains de son apprentie. Elle lava l’enfant dans une petite bassine, posée dans un coin de la salle et le posa contre le giron de sa mère qui se mit à pleurer.
_Bon travail, fille. Bon travail.*
J’étais ravagée par la tristesse, la haine et la colère. Debout, face au corps de Lucie, je me jurais que je me vengerais. Je n’allais pas laisser ce meurtre impuni. Je n’allais pas laisser la Bête s’en tirer ainsi. Ermangarde ravalait ses larmes tandis que je laissais les miennes courir le long de mes joues et s’écraser dans la terre sèche, traçant de parfaits petits cercles sombres dans la poussière. C’était un vrai carnage. Je n’osais même pas regarder le visage de celle que je considérais comme ma soeur.
Depuis les rumeurs quant à la créature, Ermangarde nous avait interdit de sortir après le coucher du soleil. Mais Lucie était une petite aventurière qui aimait contredire les ordres. Je ne l’avais même pas entendue se glisser par la fenêtre et disparaître dans la nuit. Tout ceci était de ma faute. Je n’aurais pas dû m’endormir. J’avais su qu’elle préparait un sale coup. Je n’aurais pas...
Un sanglot brisa le court de mes pensées. Elle aurait du écouter Ermangarde. Elle était toujours de bons conseils. Elle nous avait fortement découragées quant à l’idée de nous mêler aux grandes familles de Richecombe. Elles ne nous apporteraient que des problèmes. Et elle avait raison. Les derniers événements venaient de nous le confirmer et les querelles s’amplifiant n’annonçaient rien de bon. Elle nous avait déconseillées de nous approcher des hommes, ces rustres qui ne pensaient qu’avec la partie inférieure de leur corps. Et quand je voyait les prostituées engrossées jusqu’à la gorge, je savais qu’elle avait raison.
J’attrapais la main de la femme qui m’avait recueillie. Sa main ridée tremblait. Son visage était contrit de douleur. Je me promis de tout mettre en oeuvre pour la venger. Pour nous venger.