◮ It’s always darkest before the dawn.

Comme le temps passe vite mon enfant. Il file sans un regard en arrière, sans aucun remord pour le présent. Jamais il ne stoppe sa course. Mais moi qui suis vieille, très vieille même je sais que tu le penses, moi je me souviens. Et je peux remonter le temps et raconter ce qui est révolu. Je connais l’histoire de tes ancêtres, tes grands-parents, tes parents et la tienne. Et je vois tes yeux briller de curiosité. Car qui sommes-nous sans nos ancêtres ? Comment peut-on savoir où l’on va si on ne sait pas d’où l’on vient ? Assis-toi enfant et écoute.

Ta grand-mère est née Anne Rougepont. Ce n’était pas une femme de grande beauté mais elle avait le maintien d’une dame rang supérieur et lorsqu’elle souriait c’était comme voir le soleil se lever. Elle épousa un riche villageois Justin Deauclaire, nommé ainsi car il était né sur les bords d’une rivière. De leur union naquirent de nombreux enfants mais beaucoup moururent avant d’avoir atteint l’âge adulte. Ton père était le deuxième garçon de la fratrie. Comme ses frères ils avaient appris à lire et à écrire auprès du prêtre. Mais le petit Clément était pris d’une passion dévorante pour le savoir. Il lisait tout ce qu’il pouvait, épuisant rapidement les ouvrages de la maison et de l’église. Poussé par sa soif avide il quitta Richecombe pour les villes où il enrichit son savoir. A son retour, à la mort de son frère aîné, il avait ramené une femme. La fille d’un riche orfèvre. Belle mais si fragile. Elle vécu tout juste le temps de te mettre au monde. On raconte qu’il faut être né à Richecombe pour y survivre et c’est sans doute vrai.


◮ Well, the sun it was gold, though the sky it was grey.

Tu es née en mai, lorsque les fleurs éclosent. Tu fus baptisée Florine quelques semaines plus tard. Enfant unique, tu étais choyée par ton père. Il faut dire que tu ressemblais tant à ta mère. Tu lui ressembles toujours d’ailleurs. Comme ton père tu goûtas aux joies de la lecture et avec ravissement il t’appris tout ce qu’il savait. Tu en sais bien plus que les gens du village. Tu sais lire les écrits anciens et tu connais les langues anciennes. Mais ce savoir tu n’en fais pas étalage et personne ne connaît l’étendue de ton savoir. Seulement tu en sais des choses mon enfant et l’intelligence brille dans tes yeux. D’ailleurs ton père ne t’appelle-t-il pas Sapiens ? Mais ce n’était pas toujours aisé de côtoyer les autres. Tu ne les méprisais pas non tu es trop modeste pour cela. Mais les livres étaient bien plus intéressants que le monde qui t’entourait. Tu prenais bien plus de plaisir à constituer des bestiaires et des herbiers que de jouer avec des enfants de ton âge. Et le soir avant de t’endormir, tu lisais les contes et les mythes. Parfois tu observais les étoiles et tu dessinais la carte du ciel.

◮ When the sun rises in the west and sets in the east.

Tu avais treize ans. Il était temps que l’on fasse de toi une parfaite fille à marier. Ton père t’as envoyé au couvent de Marcheclair. Qui étais le plus triste des deux ? Tu as pleuré et il a eu toutes les peines du monde à rester digne. Pauvre petite il faisait si froid dans ce couvent. Tu grelottais le jour et la nuit. Tu aurais préféré être dans un monastère car au moins tu aurais pu profiter de la bibliothèque. Mais dans ce triste couvent il n’y avait aucun échappatoire. Tu comprenais alors qu’en dehors de lire, écrire et compter le couvent était surtout un lieu pour apprendre à être chaste. L’intérêt principal était que la virginité des jeunes filles soit préservée. Tu l’acceptais. Mais tu concevais que l’on ne puisse supporter cet isolement. Voilà pourquoi tu aidais Pétronille à s’échapper du couvent. Ce qu’elle faisait hors des murs cela ne te regardais pas. Et pendant que les sœurs couraient à la recherche de Pétronille, tu pouvais lire et enrichir ton savoir.

Les premières années passèrent lentement. Les suivantes plus rapidement. Tu es devenue une femme faîte l’année de tes quinze ans. Tu te sentais différente, trahie par ton corps tandis que ton esprit restait inchangé. Le monde adulte ne t’attirait pas. Surtout l’idée du mariage. Au-delà des appréhensions classiques et légitimes sur l’amour et la nuit de noces, tu craignais d’épouser un homme qui n’accepterait pas une femme lettrée et cultivée.

◮ In this twilight how dare you to speak of grace ?

A seize ans tu quittais le couvent. Ton fiancé t’attendait à Richecombe. Il s’appelait Jean Duval et il avait vingt ans. Tu le trouvais agréable à regarder. N’ais pas honte, à cet âge il est normal d’être aussi sensible à la beauté. Le lendemain de votre rencontre il fut retrouvé mort, tué par la Bête. Jamais tu n’aurais pensé qu’un de tes proches puisse être tué par la Bête. Tu réalisais que personne n’était à l’abri. Le couvent t’avais protégée mais désormais l’ombre de la Bête planait au dessus de ta tête. Et cette ombre t’intriguait. La Bête. Qu’était-elle ? Un animal ou une créature obscure ? Un châtiment divin ou une tentation démoniaque ? Tu connaissais les animaux, tu connaissais les loups et leur mode de vie. Et les loups n’attaquaient pas les hommes. Tu ne cessais de t’interroger, de collecter des informations et tu mettais par écrit tes découvertes. La période de deuil passée, tu fus à nouveau fiancée. Car tu étais l’unique enfant d’un couple fortunée. Les robes que tu tenais de ta mère étaient ravissantes, colorées et élégantes, attisant la jalousie des villageoises. Ton nouveau fiancé se nommait Antoine Duchêne. Tu n’eus pas le temps de le connaître car il disparut. La Bête laissa son cadavre à la lisière du bois. Dès lors les rumeurs se propagèrent. Tu étais maudite. Tu les entendais médire à voix basse à l’église. Tu voyais leurs regards fuyants. Tu méprisais leurs minables superstitions. Mais tu n’en avais cure. Ce que tu voulais c’était découvrir la vérité sur la Bête.